Vous n’aimez pas trop qu’on vous voit pleurer (pourquoi, d’ailleurs ?), pourtant certains jeux de votre jeunesse vous ont arraché des sanglots et des larmes malgré vous. Par leur beauté, leur histoire touchante ou les obstacles qu’ils vous ont imposé et que vous avez surmonté avec patience et adresse.
Puis vous grandissez, vous vieillissez. Vous continuez de jouer sporadiquement. Et plus tard, ces sanglots et ces larmes vous viennent par nostalgie, parce que ce jeu que vous avez aimé a trouvé sa place dans son cœur.
Mais pourquoi devrions-nous nous retenir de pleurer et d’aimer une série de jeux vidéo qui a marqué les deux tiers de notre vie ?
Aujourd’hui, avec mon cœur et ma tête, je vais vous parler de la saga Phantasy Star Online. Un succès commercial premièrement, une oeuvre philosophique et artistique deuxièmement, une part importante de ma vie dernièrement.
Introduction facultative aux non initiés
Si jamais le monde du jeu vidéo ne vous est pas familier, voici quelques petites choses à noter pour comprendre cet article.
Les sociétés Nintendo, Sony (PlayStation) et Microsoft (Xbox) sont les acteurs du marché des consoles de jeu.
La société japonaise Sega dont nous parlons ici faisait partie de ce marché dans les années 1990 et s’en est retiré pour se concentrer sur le développement de jeux.
Un RPG ou jeu de rôle est un jeu où le joueur incarne un personnage disposant d’une feuille de statistiques comme le serait un jeu de rôle papier. Un JRPG désigne un RPG japonais. Souvent ces jeux se jouent au tour par tour. Dans le cas de Phantasy Star Online, que nous abrègerons fréquemment en PSO, on parle d’ARPG pour RPG d’action, ou encore de hack’n slash.
Business : peut-on créer une fanbase conséquente en occident puis la faire patienter 8 ans ?
Je vais vous parler d’un temps que peu de moins de 25 ans ont connu. En fait, moi-même je n’en ai pas connu la genèse. En 2001 sort sur Sega Dreamcast l’un des jeux pionniers du jeu en ligne sur console : Phantasy Star Online. Il s’agit alors du 5ème opus d’une série de jeux de rôle japonais, Phantasy Star.
Apparue en 1987 sur Master System, Phantasy Star se distingue alors des autres jeux de rôle de l’époque par son ambiance à mi-chemin entre science-fiction et fantasy. Trois autres jeux suivront avec un grand succès commercial au Japon et en Amérique.
À la fin des années 1990 et au début des années 2000, le jeu vidéo commence à connaître des évolutions majeures : la puissance des machines augmentent, permettant de proposer des graphismes en trois dimensions et la démocratisation d’internet laisse entrevoir des possibilités de services en ligne.
La Dreamcast sort en 1997 au Japon et un an plus tard en Amérique et Europe, avec la promesse de jeux en 3D et un équipement modem intégré pour relier la console à internet. C’est sur cette base technique que Sega, via son équipe de développement Sonic Team, va opérer un changement majeur et audacieux sur sa série Phantasy Star – une audace plutôt rare chez Sega, c’est d’ailleurs le sujet de ce chapitre – celle de passer d’un RPG classique en 2D à un RPG-action en 3D orienté multijoueur. Une évidence aujourd’hui, mais pas à l’époque. Il s’agissait du premier jeu de ce style sur console, au moment où les RPG en ligne (MMORPG) sur PC n’avaient pas encore fait leurs preuves. On parle alors d’Everquest et d’Ultima Online, 5 ans avant la sortie du célèbre World of Warcraft.

PSU et PSO2 seront plus souples à ce sujet et vous permettront de changer de classe de personnage.
Mais Phantasy Star Online ne s’apparente pas complètement aux MMORPG PC. La principale différence réside dans l’architecture de l’aventure. Lorsque les MMORPG PC (et les jeux de rôle classiques comme les anciens Phantasy Star) proposent un monde ouvert où le joueur voyage de zone en zone, PSO propose un quartier général assorti d’un téléporteur pour rejoindre les différentes zones du jeu. Il n’y a pas d’exploration. Ce système s’avérera précurseur d’un genre différent de MMORPG, adapté à des petits groupes de joueur (4 dans le cas de PSO), par opposition aux MMORPG PC où tous les joueurs pouvaient se réunir dans le même monde et jouer ensemble. Précurseur vraiment ? Diablo sur PC (de Blizzard, à qui l’on doit World of Warcraft) le faisait avant et PSO s’est ouvertement inspiré de Diablo 1 (les développeurs de PSO ont même reçu pour consigne de jouer et de s’inspirer de Diablo lors du développement du jeu), qui proposait un mode multijoueur pour petits groupes dès 1997.
Dans PSO, le joueur se créé un avatar parmi 12 classes de personnage, dont il peut ensuite personnaliser l’apparence. Son avatar intègre ensuite le département des Hunters sur le vaisseau spatial Pioneer 2.
Ce vaisseau fut envoyé à la suite d’un vaisseau-scout, Pioneer 1, afin de trouver une planète propice à la vie suite à la destruction de l’habitat des colons. Pioneer 1 a trouvé une planète propice à colonisation : Ragol. Elle a débuté le processus et envoyé des signaux positifs aux autres colonies. Mais évidemment, quelque chose se passe et Pioneer 1 cesse subitement d’émettre. Pioneer 2 arrive dans l’orbite de Ragol et envoie ses Hunters enquêter. Concrètement, le joueur va, seul ou en équipe, progresser dans les 4 mondes du jeu, combattre des monstres, récupérer de l’argent et des équipements, gagner de l’expérience et monter de niveau…

PSO repose alors sur un business model par abonnement, la « Hunter License« , un abonnement mensuel ouvrant l’accès aux serveurs de jeu. Rappelons qu’à l’époque, nous sommes aux prémices de l’internet grand public et que nous payons la connexion à la minute. Jouer en ligne était donc cher et techniquement complexe. Ce fut pourtant un succès éclatant. Une version améliorée du jeu sorti quelques temps après (« PSO v2 »), proposant une augmentation du niveau maximum des personnages ainsi qu’un mode de difficulté « ultime ». Et il n’était pas nécessaire de jouer en ligne pour profiter du jeu : toute l’aventure était disponible en mode solo, avec les classiques séances d’entraînement de son personnage et de recherche d’objets rares. Les moments émouvants où, après avoir passé sa soirée à prendre des coups et à avancer difficilement dans le dernier niveau du jeu, on arrive à battre le dernier boss de justesse.
Car PSO est un jeu émouvant. La direction artistique fut largement saluée, que ce soit pour les choix esthétiques ou la musique grandiose. L’histoire du jeu est triste, le jeu a une ambiance globalement mélancolique, poétique. On y parle de disparition, de deuil, du changement et du passage du temps. Un contexte mature et touchant, qui marquera des dizaines de milliers de joueurs en occident. Réédité quelques années plus tard sur des consoles plus évoluées technologiquement avec une seconde aventure, le jeu connaîtra un succès encore plus grand outre-Japon sur Microsoft Xbox et Nintendo Gamecube. Une dernière version sortie en 2005 sur PC et intitulée « Blue Burst » paracheva le succès du jeu en occident. À l’heure où j’écris ces lignes, quelques centaines de joueurs jouent toujours quotidiennement à « PSO:BB » sur des serveurs privés (Ephinea proposant une expérience « vanilla », Ultima proposant une expérience plus « casual »), gérés par des communautés de passionnés.
La suite est légèrement moins étincelante pour Sega. Souhaitant ouvrir un nouveau chapitre de la saga Phantasy Star, Sega propose en 2006 Phantasy Star Universe.
Le jeu est, en soi, très bon, il reprend les éléments qui ont fait le succès de son aîné (jeu en ligne pour petits groupes, univers riche artistiquement, customization de l’avatar du joueur et quête perpétuelle d’expérience et d’objets rares). Pourtant avec PSU, Sega débutera une longue chaîne de petites erreurs avec sa saga. D’abord, le mode histoire du jeu. Le mode solo et le mode multijoueur du jeu sont dissociés. En solo, le joueur incarne un personnage imposé, Ethan Waber, ce qui déplaira fortement aux joueurs qui préfèrent se créer leur propre identité dans l’aventure et entraîner leur personnage pour le jeu en ligne.
Le jeu sera aussi décrit comme étant incomplet et parfois frustrant, en raison de bugs ou d’une mauvaise ergonomie générale du jeu et des lieux visités par le joueur. Mais les joueurs suivent malgré tout, le jeu se vendra plutôt bien, surtout en Amérique du Nord.

Sega rectifie le tir quelques années plus tard en publiant une extension du jeu original : Ambition of the Illuminus. Une seconde erreur : cette version améliorée est présentée comme une extension et ne semble donc adressée qu’aux joueurs existants. Le jeu, grandement amélioré, n’arrivera pas vraiment à attirer de nouveaux joueurs. Le jeu est alors disponible sur PC, PS2 et Xbox 360. Nous sommes en 2007 et les joueurs PC sont alors plutôt concentrés sur le best-seller World of Warcraft, la PS2 est remplacée par la PS3 (sur laquelle le jeu n’est pas publié) et donc le jeu ne tourne réellement que sur sa version Xbox 360. Avec une fréquentation acceptable, les serveurs officiels fermeront en 2012.
Aujourd’hui un serveur privé permet de jouer gratuitement à PSU sur ordinateur.
D’un point de vue gameplay, PSU enrichissait pourtant fortement les bases de PSO : le système de combat était beaucoup plus dynamique. Lorsque dans PSO, vous étiez limité à trois actions (attaque simple, attaque lourde et attaque spéciale), PSU vous proposait d’apprendre des attaques spéciales et combinaisons de mouvements au fil de l’aventure. Le jeu est plus rapide, plus nerveux et plus distrayant. La customization de l’avatar du joueur est plus poussée et permet au joueur de définir son propre style de jeu. Enfin les zones de jeux sont plus ouvertes et ressemblent moins à des successions de salles anguleuses.
Sega encaisse le coup d’un succès mitigé pour ses opus Universe et décide donc de concentrer ses forces sur les consoles portables Nintendo DS et Sony PSP, qui au Japon représentent alors le gros du marché. En 2008, Sega publie Phantasy Star Zero sur Nintendo DS – un jeu plus inspiré de PSO que de PSU – et surtout Phantasy Star Portable sur PSP, suite de PSU qui introduit quelques éléments de PSO qui avaient manqué aux joueurs.
La version PSP est un succès immédiat au Japon et réalisera également un excellent résultat en occident… sur le parc existant de Playstation Portable, relativement faible. Sega poursuit donc avec Phantasy Star Portable 2 qui sera publié au Japon et en occident. Le jeu cartonne au Japon, un peu moins en occident malgré ses qualités évidentes. La réception fut dithyrambique : le jeu est riche, amusant, a sa personnalité propre tout en respectant ses racines et permet de passer de bons moments en ligne. Sauf que la PSP est en fin de vie et que le marché occidental n’est plus particulièrement friand de ce genre de console pour le gaming. Nintendo commence alors une longue domination (toujours ininterrompue en 2020) sur ce marché, qui s’oriente plutôt vers les familles et les jeunes joueurs.

Sega en déduit donc à tort que la saga Phantasy Star manque de potentiel en occident et ne publiera la version finale de son jeu, Phantasy Star Portable 2 Infinity, seulement au Japon. Nous sommes alors en 2011. Quelques aficionados en Amérique et en Europe téléchargeront la ROM du jeu, certains allant jusqu’à se mettre au japonais pour comprendre le jeu. Quelques traductions amateurs seront même proposées.
Nous arrivons alors en 2012. Phantasy Star Online a 15 ans. La série Phantasy Star jouit d’une côté d’amour énorme sur les trois principaux marché du jeu vidéo que sont le Japon, l’Amérique du Nord et l’Europe. Toutefois, en raison de choix de plateforme peu judicieux, les opus de la série PSU n’ont pas rencontré un succès intéressant aux yeux de Sega hors du Japon. C’est pourquoi lors de l’une des annonces les plus importantes de l’histoire de la franchise, le développement de Phantasy Star Online 2, le marché occidental sera totalement ignoré.
Fort d’une série Online qui a marqué toute une génération de joueurs et de l’expérience acquise sur une série Universe qui a grandement enrichi le savoir-faire des équipes de Sega, PSO2 reprend les codes de PSO et les bonnes idées de PSU (combat dynamique, mondes plus ouverts, customization poussée) et s’inspire des MMORPG les plus populaires pour proposer un jeu nettement plus riche et technique que PSO et PSU.

On notera sur l’interface, comme dans PSP2 et par opposition au premier PSO, une barre de PP qui permet d’effectuer des actions spéciales (attaque spécifique, sorts). Cette barre de PP se remplit d’elle-même. Il est donc davantage question de timing pour le joueur, que de simplement vérifier le niveau d’une barre de magie et de la recharger avec un objet une fois qu’elle est vide.
Frileux, Sega préfère concentrer sa franchise à la maison (tout comme elle le fera pour de nombreuses autres séries de son catalogue).
Le jeu propose un modèle « free-to-play » avec des transactions internes qui ne frustre pas les joueurs ne souhaitant pas dépenser d’argent. Les aspects payants du jeu sont plutôt orientés vers la customization de l’avatar du joueur et les collectionneurs et nostalgiques. Les prix sont relativement élevés mais les joueurs ne se plaignent pas : ils ne sont obligés à rien et peuvent simplement se faire plaisir sur un jeu qu’ils aiment.
Petite digression : PSO2 propose un système pluri-devises. C’est-à-dire que le jeu intègre plusieurs sortes de monnaies différentes, chacune obtenue et utilisée de façon différente. Je note ce point car il se peut qu’il soit prémonitoire dans la réalité : le déclin de la confiance dans les grandes devises (EUR, USD…) et le gain de confiance dans les cryptomonnaies, qui proposent des fonctionnements et utilités parfois bien distinctes, pourraient mener à une situation similaire où chacun aurait une somme d’argent « classique » mais aussi des devises « virtuelles » utilisées à d’autres fins. Ce système existe déjà sous forme embryonnaire avec les systèmes de points de fidélité de diverses enseignes ou les jetons de casino, par exemple. Nous y reviendrons potentiellement dans un futur article.
Le public occidental manifeste immédiatement son enthousiasme et son intérêt et Sega recevra de TRÈS NOMBREUSES sollicitations pour exporter son jeu. Sega n’en fera rien. Encore touché par la crise de 2008 et des résultats commerciaux jugés moyens sur la période Universe, Sega entame une stratégie de fusions-acquisitions sur le marché occidental en prenant le contrôle de petites sociétés de développement prometteuses comme Amplitude Studio (Endless Space), The Creative Assembly (Total War), Relic (Company of Heroes) et plus récemment Two Point Studios.
Cette stratégie s’avérera plutôt payante, la holding Sega ne se trompant pas sur ses investissements. De plus, le marché local tourne à plein régime, que ce soit avec PSO2 ou avec d’autres titres très nippons comme Persona ou Shining (qui n’a plus grand chose à voir avec les époustouflants jeux Shining Force des années 1990). Progressivement, Sega reprend du poil de la bête. Entre 2016 et 2019, Sega génère des profits allant de 3 à 28 milliards de yen par an. Le soleil brille à nouveau au dessus de Shinagawa.
En 2019, Sega of America annonce la sortie de Phantasy Star Online 2 en Amérique du Nord au printemps 2020.
Parmi les dizaines de milliers de fans du jeu, il y en a toutefois quelques centaines ou milliers qui resteront indifférents à cette annonce. En 8 ans, une communauté de joueurs a développé des moyens de jouer à la version japonaise du jeu et à en traduire l’essentiel. Ainsi, si le jeu n’était pas officiellement sorti hors du Japon, il était déjà jouable depuis longtemps. Le « Ship 02 » des serveurs japonais accueillait une grosse majorité de joueurs internationaux, sur un jeu qui ne fut jamais publié ni traduit hors de l’archipel du Japon. Certains rapporteront avec ironie, à l’annonce de la sortie occidentale du jeu, que cela n’avait plus d’intérêt pour eux puisqu’ils avaient eu le temps d’apprendre le japonais entre temps !
Toutefois, c’est peut-être cette abondance de joueurs anglophones qui a convaincu Sega d’exporter le jeu hors du Japon.
Le jeu sort en Amérique du Nord sur le Windows Store en avril 2020 puis pour la quasi totalité du monde entier en août 2020 sur la plateforme Steam. Pas pour tout le monde ? Hé non ! Le jeu est techniquement un casino virtuel car il intègre des transactions intragame et des jeux de hasard (casino, tickets à gratter payants…). Le jeu n’est donc pas publié en Belgique ou aux Pays-Bas par exemple, en raison des législations locales. Le jeu ne sera pas non plus publié sur cette plateforme dans la majorité de l’Asie Pacifique, les droits du jeu sur ces territoires étant détenus par un publieur tiers ayant ses propres serveurs.
Note : l’interdiction de PSO2 dans certains pays pourrait faire l’objet d’un prochain article. Nous y parlerions de « gambling law ».
La sortie internationale du jeu est un succès fracassant. Les serveurs sont plein et les transactions affluent. Pour Sega, il suffisait seulement de traduire le jeu et d’ouvrir des serveurs en Amérique du Nord (grâce à une mise au point technique que je ne saurais expliquer mais impliquant Microsoft Azure et des calculs effectués au niveau du client du jeu et non du serveur, le jeu est parfaitement fluide de n’importe où dans le monde même avec une connexion faible) pour donner accès à son jeu à des dizaines de milliers de joueurs qui n’attendaient que ça.
Et ça a mis 8 ans.
D’un point de vue commercial, ce délai est un intéressant. Sega a connu des hauts et des bas depuis le premier Phantasy Star Online. D’abord l’échec commercial (relatif) de la Dreamcast qui causa à la marque de se retirer du marché des consoles de jeu. Puis le carton de PSO dans le monde, des jeux PSU au Japon malgré leur échec (relatif encore une fois) en occident.
Est-ce qu’en 2012, Sega aurait pu se dire qu’il y avait un marché rentable à aller chercher hors du Japon ? Pour beaucoup de fans frustrés dont je fais partie, c’est évident que oui. Ces 8 dernières années ont vu l’essoufflement des MMORPG, avec un leader (World of Warcraft) en perte de vitesse et qui peine à se renouveler. Les systèmes par abonnement ont été vaincus par le free-to-play, même si certains jeux intégrant cette politique sont profondément injustes pour les joueurs ne souhait pas payer.
Nous conclurons cette courte analyse de ce choix en affirmant que oui, c’était une erreur d’attendre 8 ans. Sega avait, en 2012, toutes les informations indiquant que le jeu avait un fort potentiel hors du Japon : plateforme commune en occident (PC, le jeu est d’ailleurs ensuite sorti sur PS4 et Xbox One), fanbase existante et loyale, vide croissant sur le marché du MMORPG et perte de confiance des joueurs dans le modèle free-to-play exploité par des développeurs peu connus.
Le coût d’exportation, à l’échelle d’une firme comme Sega, est faible. Beaucoup de jeux largement moins cossus sont traduits pour des sommes très raisonnables. Restait la question des serveurs… elle-même à relativiser puisque Sega a ses bases en occident.
Sega a donc perdu potentiellement 8 ans de transactions intragame et le coût d’opportunité d’une base de joueurs/clients qui aurait pu être développée, éduquée et élargie. La période 2012-2020 marque la banalisation totale du jeu vidéo (comme en témoignent des phénomènes comme Fortnite, Twitch et les vidéos gaming en général). Sega aurait pu en bénéficier avec un jeu de qualité, accessible et captivant.
Et pourtant, je tiens à ajouter : merci Sega. Vous avez frustré vos fans occidentaux et sans doute perdu de l’argent, mais nous sommes désormais des milliers à nous éclater sur PSO2.
Un mot sur le futur : Sega a annoncé que la franchise PSO2 allait s’étendre avec un jeu « parallèle et connecté », New Genesis. Il s’agit d’un monde ouvert, chose jamais vu dans la série. Sega aurait-il repris goût à l’audace…? Car là, Sega s’attaque directement aux titans de la catégorie : World of Warcraft, The Elder Scroll Online, Final Fantasy XIV…
Culture : un jeu riche au delà de sa nature de jeu
Pour les joueurs du premier Phantasy Star Online, leur amour du jeu ne vient pas du gameplay (rigide et ennuyeux) mais plutôt de l’univers et de l’atmosphère qui se dégage du jeu (en plus des classiques mécaniques de récompense dites du « looting » – le joueur va passer du temps à essayer d’obtenir un objet rare en jouant parfois très longtemps).
L’univers Phantasy Star Online est avant tout japonais. Le trait des personnages est assurément manga (il existe d’ailleurs des mangas et animés dérivés des jeux, notamment de PSO2).
On y retrouve des nuances de jardins zen (les arbres volants du lobby multijoueur m’ont tant marqué que je m’émerveille constamment devant la « forêt volante » de la gare d’Angers) et beaucoup de végétation se mêle à une architecture futuriste faite de panneaux de verre, d’écrans et de portes coulissantes.

Le thème de la nature et de l’impact humain est d’ailleurs important. Les jeux PSO, PSU et PSO2 ont cela de commun qu’ils parlent d’une colonie spatiale explorant ou s’établissant sur une ou plusieurs nouvelles planètes. L’exploration débute systématiquement par une découverte de la faune locale dans des environnements paisibles. Le premier niveau est donc systématiquement sylvestre : la forêt de PSO, les plaines de PSU ou la forêt de PSO2. Puis le joueur va s’embarquer dans des grottes, caves ou sous-terrains, généralement trouver des reliquats d’activité humaine (des mines, des carrières) et finalement aboutir (attention spoiler) à des environnement propres ou affectés aux forces des ténèbres (qui ont donc corrompu lesdites planètes).
Faut-il y voir un message écolo ? Ou un message philosophique. Les lieux naturels immaculés paraissent agréables et cette sensation de confort et de paix va s’estomper jusqu’à se retrouver face à des structures impressionnantes et oppressantes à la fois.

On note également une évolution géométrique des lieux visités : les forêts, plaines et lieux naturels sont irréguliers, imparfaits, tandis que les lieux humains sont très carrés et anguleux (c’est particulièrement visible dans le premier jeu PSO). Puis les lieux crées ou infectés par les forces des ténèbres vont présenter une géométrie complexe, qui n’est alors plus aussi naturelle pour l’homme (qui a tendance à construire des pièces carrées, rectangulaires ou circulaires). On peut faire un parallèle avec les lieux de cultes comme les cathédrales et mosquées, dont la géométrie très riche a également pour but de faire se sentir l’homme tout petit face aux éléments qui le surpassent.

PSO tire une forte inspiration du cinéma de science-fiction, mais est à la fois influencé et « limité » par l’aspect fantasy de l’univers. La technologie est à la fois omniprésente (téléporteurs, armes faites d’énergie concentrée, formes de vie biomécaniques) et… absente. On n’embête pas le joueur avec des détails pseudo-scientifiques.
En cela, la technologie de PSO fonctionne comme la magie des univers fantastiques : elle se justifie elle-même. La magie est présente dans PSO, de manière à la fois parallèle et perpendiculaire à la technologie. On vous dit que la technologie permet la magie (via un système de disques, dont j’ai oublié la logique). L’univers fait côtoyer très naturellement un soldat armé d’un fusil dans une armure peinte en camouflage avec un sorcier en robe armé d’un baton en bois. Il y parvient grâce à une grande cohérence artistique et un style bien particulier, qui puise plus dans la SF que dans le fantasy mais sans renier ou contredire cette dernière. On voit cette dualité dans les vêtements des personnages : colorés, mélangeant tissus et matières plus rigides.

Le personnage au dernier plan en est une autre illustration : elle a un bras bionique mais des vêtements dont la coupe semble inspirée de mondes de fantasy, mais qui semblent constituée de matières futuristes. Les oreilles en pointe des personnages féminins rappellent également les elfes, créatures de fantasy.
On notera la quantité de peau dévoilée par les personnages féminins par opposition aux personnages masculins : le jeu vise davantage un public masculin que féminin et se rend complice de permettre aux joueurs masculins de projeter leurs fantasmes sur leur avatar.
Dans PSO2, les hommes ont également droit à des vêtements plus légers et peuvent même se promener en sous-vêtements.
PSO2 a enrichit l’univers de plusieurs manières. Dans un souci d’autopromotion au Japon, le jeu est sorti plus ou moins en même temps qu’un animé éponyme comptant les aventures d’étudiants vivant des aventures sur PSO2 (et PSO2 finissant par déborder dans leur vie – je ne sais pas comment, je n’ai pas regardé). On retrouve ce jeu de miroirs entre jeu et réalité dans le 4ème épisode du mode histoire de PSO2, où le joueur se retrouve sur la planète Terre pour sauver… une joueuse de PSO2 qui se fait attaquer par des monstres de PSO2 dans sa chambre.
Le jeu et la réalité se mélangent autant que le permet un écran d’ordinateur et les développeurs ont plaisir à briser le quatrième mur. Le joueur est alors invité à explorer les zones urbaines de Tokyo et Las Vegas pour y combattre des ennemis très farfelus tels que des hélicoptères, des clowns, des tanks ou des zombies.
Un « dérivé de folklore humain » qui finalement ressemble à un trait d’humour et d’auto-dérision : on extrapole des éléments de danger perçus ou réels de notre monde dans le jeu, sans chercher de cohérence réaliste. Comme on le ferait pour des éléments imaginaires, où l’on verrait des dragons vous affronter aux côtés d’autres créatures hétérogènes (alors qu’elles se boufferaient dans la réalité).
En traitant dans le jeu la réalité comme un monde imaginaire, le joueur peut s’amuser à réfléchir sur la cohérence de ses aventures et des mondes qu’il explore. Nous y voyons une réflexion sur l’imagination humaine et une invitation à l’originalité et à la créativité. D’accepter le beau dans l’absurde.

Le jeu puise allègrement dans la culture japonaise. Les monstres sont inspirés des onis et yokais sur la planète Harukotan (nom qui selon un wiki de fans, se compose du mot japonais pour printemps « haru » et du mot ainou pour ville « kotan »). On retrouve des mechas (pour combattre des monstres géants, naturellement). Comme dans de nombreux produits culturels japonais, on retrouve le rapport au corps touché et déformé par les radiations* – particulièrement dans le premier jeu dont c’est un thème primordial : les héros de Pioneer se retrouvent habités par des forces malsaines et leur corps change monstrueusement, en qualité d’hôte. Au delà de l’aspect monstrueux, nous avons là la parabole précédemment cité du changement, de la mort/disparition, du deuil pour le peuple et les proches de ces héros. Du temps qui passe.
*Note : je n’ai pas trouvé de source en français sur le sujet, mais il était exploré et explicité lors d’une exposition en 2017 au Centre Pompidou Metz. Je ne saurais donc le documenter, désolé.

Le jeu peut paraître sombre, à ce stade de votre lecture. Et il est vrai que Phantasy Star Online premier du nom était un jeu mélancolique. Sans être totalement dénué d’humour, les histoires qui s’y racontent sont tristes, font écho à des étapes difficiles de la vie. Cette atmosphère est soulignée et magnifiée par une bande son qui a marqué son époque, avec des thèmes orchestraux, des mélodies douces synthétiques s’inspirant du jazz et de la musique d’ambiance. Le jeu ne néglige rien : les histoires qu’il raconte sont simples et efficaces, les environnements sont soignés et originaux et la musique vous berce les oreilles. Dans le cas du premier opus, son gameplay en devient secondaire. On oublie qu’il s’agit de presser répétitivement les mêmes boutons et d’esquiver des attaques prévisibles de la part d’ennemi peu intelligents pour s’enivrer de l’atmosphère du jeu. On prend parfois le temps de s’arrêter quelque part pour admirer les décors, même si le jeu date graphiquement du début des années 2000. Parfois on prend le temps d’écouter la musique. Certains thèmes sont proprement émouvants et d’autres vous donnent des frissons. On apprécie le jeu autant pour ses mécaniques que pour ce qu’il a offrir aux sens.
Ajoutez à cela des souvenirs d’adolescence, vous aurez un jeu dont la charge émotionnelle est particulière.
Petit interlude entre deux chapitres : Phantasy Star Online Episode III C.A.R.D Revolution
Si vous connaissez bien la série, vous aurez noter un oubli dans le premier chapitre. Un jeu de la série Phantasy Star Online est passé au travers du récit et je dois vous avouer que ça n’est même pas volontaire. Essayons de nous resituer.
Phantasy Star Online sort donc sur Dreamcast en 2001, puis une « version 2 » sort sur la même console quelques mois plus tard. Le jeu est ensuite adapté sur Gamecube et Xbox et enrichi d’une nouvelle aventure, intitulée « Episode 2« .
En 2003, peu après cette itération, Sega se sent coupable d’avoir sorti trois versions d’un même jeu et suppose que les joueurs souhaitent expérimenter quelque chose de différent. Phantasy Star Online Episode 3 sera donc un jeu totalement différent du reste de la série. Il ne s’agit plus d’un jeu d’action-RPG mais d’un jeu de stratégie basé sur des cartes à collectionner.
Oh, vous avez remarqué le nom du deuxième personnage ?!
Prenant les fans à contre-pied, le jeu est pourtant acclamé. Le système de jeu est ingénieux mais le jeu en soi souffre de quelques petits défauts d’ergonomie qui nuisent légèrement au plaisir de joueur sur le long terme. Le jeu est donc très bon mais peu accessible et difficilement rejouable.
Un joueur de Phantasy Star Online Episode 1 & 2 pouvait jouer à Episode 3 avec le même abonnement « Hunter License » (mais devait naturellement acheter les deux jeux). Les serveurs officiels des deux jeux ont fermé en 2007. Le jeu de cartes n’ayant pas eu d’adaption PC comme le jeu « classique », on n’y retrouve pas une communauté aussi forte. Certains joueurs s’évertuent toutefois à le rendre jouable en ligne via émulateur et plusieurs joueurs ont proposé de refaire le jeu à partir de rien.
Enfant curieux de la saga, il marquera fortement la série par sa musique et son scénario, les deux variant légèrement du jeu PSO original et traçant les grandes lignes de ce que seront Phantasy Star Universe puis Phantasy Star Online 2. Il y est mention pour la première fois des « Arks », qui deviendront un thème central dans Universe et Online 2.
Émotions : Phantasy Star Online, plus près du cœur que de la manette
Vous l’aurez certainement compris à ce stade, cet article est une lettre d’amour à une série de jeux qui m’accompagne dans ma vie depuis 17 ans et la version Gamecube. C’est pour cela que je ne peux pas aborder le sujet sans évoquer l’aspect émotionnel qu’il revêt chez moi (et chez d’autres fans de la saga – mais tout fan de toute saga vous dira qu’il en est émotionnellement touché non ? Sauf qu’ici c’est mon blog).
Phantasy Star Online Episode I & II sur Gamecube est le dernier cadeau d’anniversaire que je recevrais de ma grand-mère paternelle avant son décès. L’objet en soi est donc précieux à mes yeux. La première fois que j’y joue : je pleure. Le petit gars que je suis est trop habitué au heroic-fantasy et n’a strictement aucun intérêt pour la science-fiction, c’est le déboussolement total. Pourtant j’y reviens et j’accroche. Le mode multijoueur local me permet de convier mes amis et mon frère à jouer avec moi. Nous constituons une petite équipe dont l’effectif changera au cours du temps et avec qui je jouerai pendant 9 ans. Je n’ai jamais joué en ligne sur la Gamecube.

J’ai toujours ce document – et je le consulte encore !
Je raterai le virage Phantasy Star Universe, à une époque de ma vie (15-20 ans) où je crois que je dois me détacher des jeux vidéo pour mûrir, laisser cela aux geeks. J’ai trop peur de ne pas devenir un mec cool. Il me faut quelque chose de plus discret : une Playstation Portable. Je vais donc passer des nuits entières sur Phantasy Star Portable, puis sur Phantasy Star Portable 2, seul jeu pour lequel je me suis levé tôt un matin pour l’acheter le jour de sa sortie.
Dans une période trouble de ma vie où j’essayais de ne pas être moi-même, ces jeux me feront du bien.
Jusqu’à l’annonce de PSO2 au Japon. Déçu de ne pas voir le jeu sortir, je ferai partie de ceux qui tenteront l’aventure sur le tweaker Arks-Layer, la communauté qui s’est évertuée à donner accès à tous à un jeu réservé au Japon (merci à eux, leur travail est formidable).
Toutefois je n’accrocherai pas aisément, refroidi par le japonais omniprésent, le manque d’explications et le manque de personnes avec qui jouer. Nous sommes alors en 2015 et je crois que la solitude est une malédiction. Je ne suis pas à l’aise à l’idée de me faire face, de passer du temps avec moi-même. Oups, est-ce que cet article sur un jeu vidéo commence à parler de psychologie et de développement personnel ?
Un long chemin de vie a été effectué, 5 ans plus tard, lorsque Phantasy Star Online 2 est enfin accessible sur Steam aux joueurs français. Sa sortie coïncide avec un moment de ma vie où, en recherche de réponses, j’ai rendez-vous chez une hypnothérapeute en région angevine. Elle m’enseignera, entre autres choses, que je dois me rapprocher de mon cœur. Et dans mon cœur, quoi que vous en pensiez, il y a Phantasy Star Online. Des jeux qui m’ont fait pleurer, sourire, rire, m’énerver, m’amuser. Seul et avec des amis passés et présents. Avec ma famille. Avec ma petite amie. Avec des gens qui se sont éloignés depuis. Avec certains qui nous ont quitté et à qui je pense toujours.

Annexe : « moi aussi je veux jouer à PSO ! »
Si cet article vous a donné envie de jouer à Phantasy Star Online ou Phantasy Star Online 2 à votre tour, très bien, mais sachez que ça n’en est pas l’objectif. Cet article parle de ce que ces jeux représentent pour moi, ils ne pourront pas signifier la même chose pour vous.
Avant de débuter l’aventure Phantasy Star Online 2, je vous encourage à essayer le jeu original. Si vous avez peu de temps et de motivation à y consacrer, contentez-vous de créer un personnage et de finir le niveau de la forêt. Si vous voulez approfondir l’expérience, vous pouvez terminer les deux premiers épisodes en difficulté Normal (la plus basse), ainsi que l’Episode 4 (ajouté au jeu original après la parution de l’Episode 3, il y a de quoi s’y perdre…). L’Episode 4 a cela d’intéressant qu’il préfigure les mondes plus ouverts que nous trouvons dans PSU et PSO2, alors que les premiers mondes de PSO vous paraîtront très linéaires et anguleux.
- Le serveur Ephinea est le plus peuplé et propose une expérience fidèle au jeu original. Comptez tout de même une petite dizaine d’heures si vous voulez parcourir les quatre épisodes.
- Le serveur Ultima, qui semble en train de mourir hélas, propose une expérience plus accessible avec un taux de gain d’expérience largement augmenté pour une progression plus rapide. Je vous recommande de jouer sur Ultima si vous voulez simplement vous faire une idée du jeu.
- Vous pouvez également regarder des vidéos du jeu sur Youtube, mais l’immersion ne sera pas la même.
Enfin pour ce qui est de Phantasy Star Online 2, le jeu est disponible gratuitement sur Steam.
Lors de la création de votre avatar, ne vous souciez pas trop de quelle race choisir, prenez celle qui vous plaît le plus. Pour ce qui est des classes, elles se jouent toutes différemment mais prennent un peu de temps à prendre leur saveur (avec le système de « skill points » que vous glanez en montant de niveau).
Choisissez la classe Hunter ou Ranger pour vous amusez rapidement. Ce jeu peut être tryhard ou bien joué tranquillement à votre guise, vous ne serez pas puni si vous y allez tranquille sans essayer de tout comprendre dès le début.
Et si vous voulez jouer avec moi, contactez-moi !
Post Scriptum

J’ai une pensée particulière pour les anciens amis avec qui j’ai beaucoup joué quand nous étions au collège et au lycée. Je n’ai plus contact qu’avec deux d’entre eux mais je pense à vous tous, malgré les différends et les chemins différents que nous avons emprunté depuis. Si vous passez ici, J. et N., faites signe pour une petite partie. Ma porte vous est ouverte, si vous le souhaitez.

Une réflexion sur “🔵 Phantasy Star Online : business, culture et émotions”